Janvier – Février 2023

Roman adulte

En salle Claire Baglin

Les éditions de Minuit
Un livre percutant jusqu’à la dernière page, jusqu’au dernier mot, sur une chaîne très célèbre de fast food ; sur ses coulisses mais aussi sur ce que tout le monde voit sans voir quand on s’y rend pour y manger, notamment les conditions de travail des employés « en salle », c’est à dire au milieu des clients.

Tout le long du roman, les paragraphes alternent entre le récit, presque automatique et factuel, de l’intégration de la narratrice au sein de cette enseigne et de son équipe – à commencer par son entretien d’embauche pour job d’été – et le récit du passé de la même narratrice qui, des années plus tôt, s’est rendue plusieurs fois au MacDo en famille, à l’époque où la simple mention de ce nom provoquait des déchaînements de passion et d’avidité chez elle et son petit frère. A travers ses yeux enfantins, on découvre donc dans un passé parallèle la vie de son père ouvrier à l’usine, les mécanismes mentaux qu’il a mis en place, livré à une précarité tacite mais foudroyante : de l’impossible déconnexion de ce dernier durant ses vacances jusqu’aux difficultés de gestion des dangers qui guettent toujours l’ouvrier dans l’utilisation des machines par exemple, jusqu’aux produits sanitaires post-covid corrosifs pour les mains lorsque la narratrice, des années plus tard, est employée « en salle », tout révèle la place menaçante voire dangereuse que peuvent prendre certaines formes de travail sur nos vies. Mais au-delà de la peinture d’un monde professionnel où l’aliénation mentale est la seule chance de survie aux coups portés par son management brutal et au visage pourtant humain, « En salle » est aussi le roman des gestes et des parades des relations entre collègues.

Outre la construction du récit qui emmêle habilement ces univers proches, le plus bluffant pour moi est sans doute l’écriture scandée et concise de l’auteure qui, malgré les percées d’humour, laisse surtout deviner un message social très fort. A 24 ans, la jeune auteur fraîchement diplômée de l’Université du Havre livre un premier roman à cheval entre la fiction et le récit autobiographique que je ne suis pas prête d’oublier !!

Nina
Roman fantasy jeunesse

Rainbow apocalypse Tristan Valroff

Le Rouergue

Les fées ont déclenché la fin du monde et ont mis un sacré bazar. Certaines personnes ont été changées en licorne ou en dragon (rose). Les voitures et les centres commerciaux ont été remplacés par des charrettes et des villes médiévales.
Du coup, on est face à une sorte de fantasy inversée. Dans ce nouveau monde féérique post apo, tout ce qui est rationnel ou moderne est considéré comme bizarre ou fantastique : on affronte des fées à coup de manuel de math et l’apparition d’une station-service au milieu de nulle part intrigue, voire inquiète, la population.
C’est une aventure au ton assez décalé, un peu à la Terry Pratchett. Ça peut paraître un peu déroutant ? Mais si vous avez l’habitude des romans de fantasy ou de post apo, l’auteur joue habilement avec les codes de ce genre d’histoire et c’est très drôle à lire !

Loly
Roman adulte

Ada et Graff Dany Héricourt

Liana Levi
Ada et Graff, c’est l’histoire d’un amour qui éclot là où rien ne l’attendait, ni la vieillesse, ni la société étroite d’esprit d’un petit bourg de village français.
Ada, veuve britannique de médecin français, a perdu Rebecca, son unique fille, dans les griffes d’une secte.
Graff, échoué momentanément sur le terrain vague attenant à la maison d’Ada avec sa caravane et son cheval suite à une blessure de cirque, est un « gipsy », un « gens du voyage », un « gitan' » – quel est le mot juste déjà ? Et s’il suffisait de poser la question à l’intéressé ?
C’est ce qu’Ada va finir par faire lorsque, occupée à nager à contre courant, elle le croise un matin au détour de la rivière. Dès lors, leur vie à tous les deux va être bousculée, et les évènements également.

Le récit alterne entre plusieurs points de vue : ceux d’Ada et de Graff, mais aussi ceux de Rebecca et de son fils, coincés dans cette communauté soi-disant propice au déploiement du libre-arbitre, mais qui, dans les corps et les esprits de ses sujets, n’est en réalité que le reflet de l’enfer qui tiraille l’esprit fou de son gourou tyrannique. Ce roman est emprunt d’une sensibilité extrême, et la relation entre les êtres ne tombe jamais dans le « gnan gnan ». Une histoire de funambulisme et de liberté qui va droit au cœur !

Nina
DVD adulte

Hommes au bord de la crise de nerfs Audrey Dana

Ils sont jeunes (très) ou vieux (pas trop), et tous partagent la même galère : une vie parsemée d’embûches, de doutes, de turpitudes et d’injustices qui en laisserait plus d’un sur le carreau. Mais voilà, eux qui ne se connaissaient pas se retrouvent pour 4 jours de stage auquel ils se raccrochent comme des naufragés s’agrippant à leur radeau. Un stage pour redécouvrir la force de la vie, des liens, et leurs qualités d’hommes au bord de la crise de nerf. Emmenés par des acteurs droits dans leurs bottes, cette comédie vous fera hurler de rire tant les situations certes parfois clichées frappent justes sur nos zygomatiques. Un conseil : caler vous au fond du canapé et lâcher prise, 1h30 de fous rires vous attend !

Nath
Roman adulte

On était des loups Sandrine Collette

JC Lattès

Dans « On était des loups », le lecteur boit, déroulées sur le papier, les pensées haletantes d’un homme laissé seul avec son fils de 5 ans après la mort brutale de sa compagne tuée par un ours.

Liam a fait le choix de vivre reclus au fin fond des montagnes avec Ava et son jeune fils, partant parfois plusieurs jours pour chasser les bêtes pour leur chair et leur peau. Question amour filial, il se limite à encaisser les bouffées heureuses qui surviennent en lui quand, au retour d’une chasse, il voit systématiquement son jeune fils l’accueillir en dévalant la vallée à sa rencontre. Et c’est bien tout : l’éducation, les « Je t’aime », ça, c’est le rôle de sa mère, pas le sien. Jusqu’à ce que.

Un jour, Ava meurt brutalement sous les griffes d’un ours passé par là. Ce poids de 5 ans et demi, si petit au sein de cette nature hostile, devient alors trop lourd à porter. Il n’en veut pas, il n’en est pas capable, d’ailleurs pourquoi est-ce que l’ours l’a emportée elle, et pas ce petit être de toute manière si faible ? Décidant qu’il ne peut pas le garder, il prépare ses chevaux et part avec lui dans les montagnes avec, en tête, l’idée de se délivrer de toute la peine qu’il représente. Commence alors un long road trip, d’abord jusqu’à la ville où habitent l’oncle et la tante. Au fur et à mesure que le trajet se dessine et se redessine à dos de cheval, le dilemme intérieur de ce père emprunte lui aussi des chemins insoupçonnés au contact de ce petit être discret qui ne peut pas faire autrement que faire confiance et aspirer désespérément à aimer et être aimé. Comment l’instinct paternel réussira-t-il à se faufiler au milieu du deuil et dans toute cette souffrance tue ?

Les thèmes chers à Sandrine Colette sont repris dans ce livre : la nature écrasante, les hommes pouvant être aussi prédateurs qu’auxiliaires et bienfaiteurs, et l’exploration intérieure d’êtres ravagés par le destin auxquels il ne reste plus rien d’autre – ou presque – que leur souffrance et leur solitude. Mais avec, toujours, cette lumière par intermittence vers des jours meilleurs. Une fois ouvert et libérés les loups en nous, impossible de décrocher de ce livre !

Nina