Miss Jane Brad Watson
Comme elle nous fait du bien Jane, née en 1915 dans le Mississipi, non désirée et malformée. Sa singularité la prive d’une vie « normale ». Pas de place pour elle, la médecine est balbutiante dans ce qui la différencie ; qui plus est , dans le monde tout en mouvements et soubresauts du début du XXème siècle aux Etats-Unis.
Et pourtant, malgré le peu d’affection de la part des siens hormis celle du médecin de campagne qui la suit, cette enfant devenue adolescente, puis femme réussit à trouver force et équilibre dans une vie âpre et austère, faite de bonheurs simples au contact de la nature.
Miss Jane nous propose une ode à la différence et à son accommodement, à la nature, une très belle leçon de vie.
Précipitez-vous sur ce roman magnifique.
Winter break Alexander Payne
Hiver 1970 : M. Hunham est professeur d’histoire ancienne dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre. Pédant et bourru, il n’est apprécié ni de ses élèves ni de ses collègues. Alors que Noël approche, M. Hunham se doit de rester sur le campus pour surveiller la poignée de pensionnaires consignés sur place. Il n’en restera bientôt qu’un : Angus, un élève de 1ere aussi doué qu’insubordonné. Mary, la cuisinière de l’établissement vient compléter ce trio improbable.
Sorti au cinéma pendant les fêtes de fin d’année, « Winter Break » s’inscrit comme un film appelé à devenir un classique du « Christmas movie », rejoignant la liste des films emblématiques tels que « Love Actually » ou « Maman, j’ai raté l’avion », gagnant en valeur au fil du temps. Malgré une sortie discrète, ce conte de Noël est destiné à devenir une référence !
A noter, la présence de Paul Giamatti dans le rôle principal du professeur acariâtre qui est toujours un régal !
Kaiju Girl Carameliser Spica Aoki
Romance mignonne au dessin sublime. Comment gérer ses émotions et son premier amour quand on peut se transformer en monstre géant à tout moment ?
Godzilla aussi est une jeune fille amoureuse <3
L'enclave Benoît Vitkine
J’en étais restée aux russes blancs de l’empire tsariste, à Dostowieski et Tolstoï.
A ma décharge, la littérature contemporaine russe n’est guère exposée dans nos rayons.
Jusqu’à ce que je découvre Benoît Vitkine. Enfin ! Voici une erreur réparée, un plongeon dans l’effondrement de l’URSS.
Attention : si vous cherchez un feel good, passez votre chemin.
Le jeune héros solitaire, dans un voyage de retour à la maison après un séjour en prison, est sans foi ni loi, sans morale. Et quand il croise une main tendue, pas l’ombre d’une once d’empathie ; bien au contraire, il ne fait preuve que de fourberie. Violence pour survivre, violence gratuite.
Le récit est dur, très dur.
Brrr, il ne faisait pas bon vivre au temps de la Perestroïka de Gorbatchev.
Mais au-delà de cette histoire facile à lire, ce récit est aussi une réflexion sur la liberté nouvellement acquise. Qu’en faire après des siècles d’oppression ?
Les années Annie Ernaux
C’est en attendant un train dans une gare du centre de la France que j’ai terminé ce chef d’œuvre. Et quoi de mieux pour ressentir l’objet de son roman : le passage du temps, des gens et des idées qui les traversent.
Annie Ernaux est née en 1940 et a connu les transformations de notre siècle, l’évolution de ses mentalités, de ses opinions, de ses jugements.
« Les années » est une sorte d’autobiographie dans lequel le sujet (elle) est complètement dilué dans le cours de l’Histoire. L’histoire individuelle et collective se confondent dans l’utilisation de la troisième personne du singulier, en une écriture réfléchie, distante et profondément intime à la fois.
La construction du roman peut déconcerter dans les premières pages, où sont jetés en un désordre apparent des souvenirs, images, photographies et impressions de l’autrice. Mais la forme émerge rapidement au chapitre suivant par une narration chronologique qui nous fait habiter le corps de cette femme qui reçoit les évènements, faits sociaux, discours, commentaires, expressions à la mode, publicités qui ont jalonné ces années, tandis que les souvenirs des repas du dimanche cristallisent le sentiment de la vieillesse et interrogent la notion de transmission à la progéniture, ce qu’il va rester.
De cette fresque historique collective riche en détails, voici pêle-mêle ce qui me revient spontanément à l’esprit : les jeux calmes pour les filles tandis que les garçons juraient des gros mots et lisaient Tarzan ou Bibi Fricotin, l’ennui des adolescentes des années 50 ; l’arrivée de l’eau courante dans le tout à l’égout et l’évier ; puis le rapport compliqué à l’autre sexe (et au sexe), les premières soirées dans les caves, défiant l’autorité parentale, elle-même renversée par mai 68 ; le recul du religieux au profit de la société de consommation (savamment décrite à travers une multitude d’objets et marques, des années 60 à 2000) ; l’arrivée de la première télé en noir et blanc dans les foyers ; la construction des premières barres d’immeubles censées accueillir les travailleurs étrangers, le rapport hypocrite aux immigrés, l’avènement des mass-media dictant les ressentis et véhiculant leur discours paternaliste, devenu au fil des ans sécuritaire ; le combat de Simone Veil, la légalisation de la pilule contraceptive ; l’élan qui a suivi la percée de la gauche en 1981, vite rattrapé et éteint par la globalisation, la libéralisation du marché et la novlangue qui va avec. Les virées à la Fnac pour acheter la dernière chaîne hifi, baladeur cassette et autres artefacts de modernité. Les guerres qui n’en finissent pas d’éclater jusqu’aux portes de l’Europe, le ridicule sentiment de supériorité vis-à-vis de ces pays où le sang ne cesse de couler ; puis le 11 septembre qui rabat les cartes, la « guerre au terrorisme » ; la mort de Bourdieu, les nouveaux faux philosophes ; avec toujours, pour horizon, la lutte des classes, contre la domination symbolique des élites.